Une superproduction turque est pour le moment à l’affiche là-bas — et le film sort dans des salles de l’ouest de notre continent également. Son nom ? « Conquête 1453 ».

Son thème sera facile à deviner pour qui connaît un peu les dates clés. Et même s’il y manque quelques trucs — les massacres sanglants commis par les conquérants (population réfugiée dans Sainte-Sophie, etc.) par exemple*, le succès immédiat d’une œuvre surfant sur la vague du « néo-ottomanisme » que connaît la Turquie devrait “rassurer” les Européens qu’inquiéterait l’entrée dans l’UE de ce pays (si tant est que l’UE tienne encore longtemps, mais c’est une autre question !).

La bande-annonce :

… et ci-dessous, la traduction (très rapide, trop sans doute) d’un long extrait du billet d’un chroniqueur sur le site anglophone du journal turc Hürriyet, commentant la sortie du film avec bon sens et humour :

Dans une certaine mesure, il serait anachronique d’accuser les Turcs musulmans d’occuper les territoires d’autres nations, puisque les temps obscurs de la race humaine ont vu la chose se produire bien souvent, quelles que soient les ethnies ou les religions. Mais il ne sera pas anachronique du tout de se montrer surpris de l’amour que les Turques semblent porter à l’idée de conquête au 21e siècle. Au lieu de se souvenir timidement (et en privé) de 1453, les Turcs font tout un ramdam pour rappeler au monde entier que leur pays a pour particularité, en Europe, de se vanter que leur plus grande ville est une zone qui appartint naguère à une autre nation et fut capturée par la force de l’épée.

Il est difficile d’imaginer les Britanniques commémorer la conquête de Londres ou les Allemands celle de Berlin, et plus encore de le faire en pensant bruyamment que c’est un mérite : « Nous sommes installés sur les terres d’autrui ! Ah oui, et il y a Chypre aussi…  » — s’il y a un autre producteur turc qui désire faire rapidement fortune, il devrait se fixer pour but de sortir sous peu une « Conquête 1974 », ainsi qu’une autre œuvre, « Extermination 1915 ».

Malheureusement, des millions de Turcs vont se rendre dans les cinémas pour s’y sentir fiers de leurs ancêtres et pour montrer visuellement à leurs enfants « notre grandeur ». Nous sommes grands non seulement parce que « nous avions le pouvoir du sabre », mais, encore plus tristement, parce que « nous en adorons toujours l’idée ». C’est sans doute ce que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a dû vouloir dire lorsqu’il a récemment affirmé qu’il voulait « faire se lever des générations ferventes (…) qui devraient embrasser nos valeurs historiques ».

Et il est tellement amusant que ces générations ferventes s’offensent facilement lorsque quelqu’un emploie le nom originel de la cité que leurs ancêtres ont conquis il y a cinq siècles et demi, Constantinople. Ils préféreraient le nom « turc », Istanbul, sans se rendre compte que le nom turc est lui aussi une variation de l’un des noms grecs de la ville : « sain Poli » — vers la Cité.

Encore plus amusant est le fait que l’on trouve bien souvent ces « générations ferventes » enchaînant manifestation après manifestation, pour exiger avec acharnement la fin de « l’occupation israélienne de Jérusalem ». L’amusement est à son comble lorsque, comme cela s’est produit il y a de cela quelques années, des foules de jeunes turcs dévots venant de commémorer la conquête d’Istanbul se mettent ensuite à manifester contre l’occupation de Jérusalem.

Une Turquie étrange ? Ce n’est pas fini. Après leur double manifestation, ces gens se mettent ensuite à scruter le web pour dénicher les « traîtres » turcs qui y critiquent leurs actes, et les noyer sous des monceaux de commentaires regorgeant de malédictions et de menaces avec beaucoup de créativité.

Il est inutile de leur rappeler que leurs ancêtres ont voyagé depuis les steppes de l’Asie centrale pour capturer Constantinople, tandis que les Juifs sont issus de Jérusalem.

Autant dire que le texte n’a pas valu que des fleurs à Mr Bekdil…

*que voulez-vous, le réalisateur n’est sans doute pas un “européen moderne”, il rechigne à donner une “mauvaise” image des siens**, ou alors le but n’est pas “d’éduquer” le peuple au relativisme façon Ridley-Scott-Kingdom-of-Heaven…

** mais il aurait probablement faire plus: au moins un autre chroniqueur parlant du film se serait ainsi indigné que les Ottomans y soient présentés comme les envahisseurs… O_o

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