Voici la réaction aux récents attentats en Grande-Bretagne d’un Australien d’origine bangladaise. Même si certains passages sont moins convaincants (voir le commentaire ci-dessous, il est fort important), cette tribune me semblait mériter traduction, au moins parce que plus il y aura de gens issus de milieux musulmans à reconnaître, à divers degré, la responsabilité de l’idéologie islamique dans les évènements contemporains, moins il sera possible pour nos bien-pensants -“élites” culturelles, politiques, et bobo divers – de continuer à nier cette évidence.

Tanver Ahmed: L’islam doit affronter ses vérités gênantes.
Une certaine théologie est au centre du problème du terrorisme
3 juillet 2007
Traduction: pistache.

Le dernier attentat en Grande-Bretagne montre à quel point la menace islamiste est motivée par une chose qui dépasse la simple politique étrangère ou le sentiment de rancune. Les malfaiteurs se prennent pour des soldats dans ce qu’ils considèrent comme une lutte historique entre le Bien et le Mal.

Les méthodes d’attaques deviennent plus téméraires, plus désespérées, confinant au travail d’amateur, comme l’illustre bien ce terroriste en flammes qui, à l’aéroport de Glasgow, hurlait « Allah ! » en luttant avec un policier, mais les racines idéologiques restent inchangées.

En tant que commentateur des affaires musulmanes et du terrorisme dans ce pays, on me demande souvent s’il y a quelque chose dans l’islam lui-même qui contribue aux agissements terroristes. N’étant pas un expert en théologie, j’évite de faire des déclarations fermes sur la question, préférant discuter des racines sociologiques du sentiment d’aliénation et du symbole moderne de protestation que l’islam est devenu.

Mais la question est impossible à éviter, et je pense que la théologie n’est pas un élément périphérique mais réside bel et bien au cœur du problème. La base est historique, les étincelles sont le produit de l’ère de l’information.

Bien que les images de misère et de guerre dans des pays comme le Soudan, la Palestine ou l’Irak combinées à la position relativement désavantageuse de certaines communautés musulmanes dans des pays comme la France ou la Grande-Bretagne puissent contribuer à la radicalisation, le fondement de leurs actes repose surtout sur l’ensemble d’idées appelé islam. Je ne sais combien de fois des musulmans contrariés ont répondu à mes écrits par des commentaires du genre « l’islam est paix » ou « vous n’êtes plus un musulman ».

À vrai dire, je n’ai jamais été un musulman pratiquant, en dépit du fait d’avoir grandi dans une communauté bangladaise où la religiosité était la norme.

Cela vient plutôt du fait d’avoir été élevé dans une famille et une société laïques que d’un quelconque doute quant à l’islam. En fait, je regardais souvent avec envie mes amis capables de pratiquer une version spirituelle de la religion, souhaitant pouvoir moi aussi m’inscrire dans un dessein qui me dépasse.

Mais avec le recul, je peux voir que ce que nous appelons de nos jours l’extrémisme était quasiment la norme de la communauté dans laquelle j’ai grandi. Il était complètement normal de considérer les Juifs comme mauvais et responsables de tous les maux du monde. Il était normal de considérer la société libérale qui nous entourait comme étant moralement corrompue, et de penser qu’il fallait à tout prix éviter ses souillures. Il était normal de considérer les filles blanches comme des filles faciles et de peu de valeur, et d’estimer que l’idéal féminin était leur antithèse. Les regards maintenant fixés sur elles ont poussé les communautés musulmanes à refouler ces avis vers des sphères plus privées, plus personnelles.

Ils restent cependant largement répandus, comme des études l’ont montré au début de l’année en Grande-Bretagne : jusqu’à 50% des musulmans britanniques âgés de 15 à 29 ans veulent y voir la charia instaurée. Ces chiffres doivent être lus à la lumière des données collectées aux USA par le Pew Research Centre montrant que près de 80% des musulmans américains pensent pouvoir s’élever dans l’échelle sociale et n’ont guère envie de voir les lois islamiques appliquées au niveau public. Comme pour la plupart des choses, il est vraisemblable que nous nous situons, nous autres Australiens, quelque part entre nos cousins britanniques et américains.

La menace est très réelle. Il a été rapporté hier qu’il y aurait jusqu’à 3000 jeunes musulmans en phase de radicalisation dans la seule ville de Sydney, d’après les recherches de Mustapha Kara-Ali, un membre du Muslim Community Reference Group aujourd’hui dissout. Lorsque ces opinions se transforment en action politique violente, c’est-à-dire en terrorisme, c’est dans une large mesure sur la base de la théologie.

En son cœur, l’islam est profondément sceptique quant au concept d’état laïque. Il n’y a rien à rendre à César, parce qu’état et religion sont jugés inséparables. Cette idée interagit ensuite avec les décrets séculaires des juristes islamiques concernant les rapports que la terre d’islam doit entretenir avec le monde des incroyants, le dar-ul-kufr. Les radicaux modernes franchissent un pas de plus en déclarant que, puisqu’il n’y a pas d’état islamique, à l’exception peut-être du Pakistan et de l’Iran, le monde tout entier est territoire impie. En vertu de quoi certains extrémistes pensent qu’il est justifié de faire la guerre au monde entier, pour le recréer en tant qu’état islamique.

Ils vont jusqu’à re-cataloguer le globe comme dar-ul-harb, « territoire de la guerre », permettant apparemment aux musulmans d’y détruire les cinq droits que tout humain se voit accorder sous l’islam [*] : la vie, la fortune, la terre, l’intellect et la croyance. En dar-ul-harb, tout est permis, y compris le massacre de civils.

Bien que cela puisse sembler absurde à la plupart des gens, cette vision du monde nihiliste mais exclusiviste attire manifestement un nombre considérable de jeunes musulmans. La police britannique a suggéré que des adolescents ont pu être impliqués dans les dernières attaques et complots déjoués. Mais l’évidente absurdité de cet ensemble d’idées reste fondée sur l’islam qui, quoi qu’en disent les experts en théologie, peut être interprété de nombreuses manières.

Les communautés musulmanes doivent ouvertement discuter de ce qu’elles craignent et détestent exactement dans l’Occident. Beaucoup [de ces éléments] tournent autour de la sexualité. C’est la première étape pour extirper toute ambivalence musulmane par rapport à la vie en Occident. Mais ensuite, le débat doit rapidement se pencher sur la théologie islamique et sur toutes ses vérités gênantes – en commençant par ses références élogieuses et répétées à la violence, son obsession/répulsion pour le sexe, et son aversion historique envers la possibilité même que la raison puisse exister séparément de Dieu [*].

Tanver Ahmed est un chef de clinique psychiatrique et un écrivain basé à Sydney.

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[*] Les cinq droits que tout humain se voit attribuer sous l’islam (…)”: ce passage m’a fait “tiquer”, parce que je connais assez bien le sujet maintenant pour mettre en doute cette affirmation: ainsi par exemple, le “droit à la croyance” n’est garanti que si cette croyance est l’islam ou l’une des “religions du livre” – et ce uniquement sous condition du respect de la dhimma; le “droit à la vie” est lui conditionné par, justement, la croyance (l’apostat et le polythéiste ne peuvent s’en prémunir)… Intriguante, donc, cette “taqqiya” au milieu d’un texte qui me semblait honnête. J’ai donc fouillé, et j’ai trouvé des choses fort intéressantes.

D’abord, je pense que Mr Ahmed a repris cette phrase – et quelques autres lignes et concepts – dans un autre article paru un jour plus tôt dans le Daily Mail. Son auteur est Hassan Butt, un britannique d’origine cachemirie, qui se présente comme ex-islamiste. C’est du texte de Mr Butt que semble provenir l’idée des “multiples interprétations possibles” de la théologie islamique.

Soit. Mr Ahmed est donc coupable de plagiat partiel – et probablement d’ignorance trop grande de la théologie musulmane, chose qu’il avoue en début de texte – mais tout ça ne me disait pas ce qu’il en était de cette histoire des “cinq droits attribués à tout humain dans l’islam”. J’ai donc continué à chercher.

Et, je pense, par trouver.

Plusieurs sites musulmans anglophones proposent ce genre d’affirmation, parfois en les attribuant au Coran mais sans jamais préciser nulle sourate ou verset ; mais j’ai pu lire ici quelque chose d’un peu plus complet :

Selon Shatibi, un érudit andaloux du XIV° siècle, le Coran définit une charte de droits. Tous les versets pris ensembles définissent cinq droits dans cet ordre de priorité : liberté religieuse, liberté de vivre, liberté de penser, liberté sociale et, finalement, liberté économique.

Shâtibî, voilà un nom pour poursuivre l’enquête. Et là, les choses s’éclairent, car très vite on décrouvre des textes parlant de protéger les “intérêts humains essentiels (religion, vie, reproduction, propriété et raison.)” et non plus des “droits”. Grosse différence. Voici un texte qui montre pourquoi (traduction d’un extrait d’un texte anglais que l’on trouve ici. Certains sites francophones le confirment comme celui-ci, mais sont dépourvus d’exemples):

Les objectifs de la charia

La charia existe principalement pour permettre aux humains de mener une vie heureuse sur le chemin d’Allah à la fois dans ce monde et dans le suivant. Mais, plus en détails, la charia a une signification plus complète du bonheur et du succès. Ces objectifs sont atteints au travers des valeurs, normes et lois devant être adoptées par les musulmans.

Selon le Cheikh Muhammad Tahir bin ‘Ashur, la finalité de la charia est de protéger et de maintenir tous les bons aspects de la vie collective de l’oumma. Ceci en assurant que la vie des individus eux-mêmes puisse se poursuivre, heureuse et tranquille. Pour atteindre ce but, la charia vise donc également à protéger la vie et le bien-être de l’humain, y compris également son intellect, ses actes, ses gains et ses biens.

Ces intentions décrites ci-dessus sont très bien résumées par la célèbre notion des « cinq nécessités » (Al-Darurat al-Khamsu) mise en avant par de nombreux juristes musulmans, et émise la première fois par Al-Shâtibî dans son Muwâfaqat. Ces cinq nécessités qui sont grandement protégée en islam sont, par ordre de priorité : l’intérêt de la religion (al-dîn), celui de la vie humaine (al-nafs), celui de la raison (al-‘aql), celui de la parenté humaine/du lignage (al-nasl), et celui de la propriété humaine (al-mâl).

Toutes les normes et lois de l’islam peuvent être reliées à la protection de ces cinq choses. Le devoir du jihad et la punition pour apostasie reflètent tout deux la notion de la protection de la religion en islam. Le qisas [NdT: « la rétribution » ; châtiment consistant à infliger au coupable le traitement qu’il a fait subir à sa victime] infligé au meurtrier protège la vie humaine. De plus, par exemple, la prohibition de la consommation d’alcool (tahrim al-khamr) et l’amputation de la main du voleur protègent respectivement l’intellect et la propriété de l’humain. Et le lignage est des mieux réglementé par l’institution du mariage et l’interdiction de l’adultère.

Les droits garantis à tous par l’islam mentionnés par messieurs Ahmed et Butt, ce sont donc vraisemblablement – et c’est bien triste qu’ils l’ignorent! – celui d’être mis à mort pour apostasie, celui de tuer l’infidèle pour sa simple mécréance, celui de mutiler le voleur, celui de flageller l’ivrogne… !

Bref.

Je laisse la conclusion à Ajm, qui a malheureusement bien résumé le problème du Dr Ahmed et de tant d’autres (ex-)musulmans pleins de bonne volonté dans un petit échange par courriel:

(…) Ce bon docteur est un nigaud. Il ne connaît pas son Coran, l’avoue, mais affirme mieux en connaître les interprétations possibles que les experts. Pas très sérieux. Et le problème de l’Islam n’est pas de séparer la raison de Dieu, mais des textes. Car dans la pratique, ils ne sont pas interprétables n’importe comment, si l’on veut pouvoir réunir un quelconque consensus à leur sujet.